Quand ils achètent, les gens ont du mal à comprendre ce qu’est un garant, ce qu’est une garantie financière d’achèvement. Après, ils ont encore plus de mal à comprendre ce que font les intermédiaires dans ce secteur-là?
Alessandro Rizzo. – «Reprenons au début. Avant même qu’un garant sur la vente en état futur d’achèvement soit présent, il y a déjà un agent immobilier. Ou même un promoteur. Le rôle du promoteur est de trouver un terrain, de le développer en partenariat avec un architecte, de faire un projet qui est vendable, d’en déterminer le prix, les conditions qu’un acheteur va acheter.
Puis vient le rôle de l’agent immobilier qui trouve un client, et son rôle d’agent immobilier c’est de conseiller son client. Souvent, les agents immobiliers oublient qu’ils ont deux clients: le vendeur et l’acheteur. Ils n’ont peut-être pas la compétence d’expliquer ce que c’est une vente en état futur d’achèvement. Dans le cas d’une vente, la loi impose que le vendeur donne une garantie d’achèvement. Si le règlement grand-ducal d’application dit que cette garantie doit être émise par un établissement bancaire et de crédit, la pratique de marché, c’est que les assureurs émettent ce genre de garantie.
Alors c’est quoi, la garantie d’achèvement?
«La GFA garantit en cas de défaillance du promoteur soit l’achèvement de l’immeuble soit le remboursement de la quote-part construction. La défaillance peut être une faillite, mais également une décision judiciaire parce qu’un promoteur ne respecte pas les engagements contractuels qu’il a signés. Il y a un an, nous avons passé notre texte de garantie de deux à cinq pages et on l’a transformé en langage clair.
Chez Cenaro, les taux de prévente étaient toujours à 100%!
Et le garant, que fait-il?
«Il achève le bâtiment et l’acquéreur paye ce qu’il doit. Néanmoins, avant d’émettre une garantie chez un promoteur, il y a quand même des contrôles qui doivent se faire.
Et dans le cas Cenaro, ces contrôles ont-ils été effectués?
«Les contrôles ont été faits. C’est très important. On a vérifié qu’au moment où on a accepté d’émettre la garantie que les coûts de construction étaient en ligne avec la pratique de marché; c’est déjà le premier élément. Il ne faut pas oublier qu’ils ont peut-être acheté cher un terrain. Ce n’est pas le problème du garant dans un état de futur achèvement. Si un acheteur a accepté de payer 1,4 million d’euros pour son appartement et payé 700.000 euros sa quote-part terrain, c’est vendu! Chez Cenaro, ou d’autres, le plus important, c’est qu’il y ait un taux de prévente et que le prix de vente de la quote-part construction permette de construire le bâtiment. Chez Cenaro, les taux de prévente étaient toujours à 100%.
Débat autour de l’assurance du terrain
Ce qui n’est pas un peu bizarre?
«C’était la pratique du marché jusqu’il y a huit mois. Le marché luxembourgeois, jusqu’à mars 2022, sur l’ensemble des dossiers qu’on allait garantir en garantie d’achèvement, les coûts de construction étaient couverts et dans 98% des cas, c’était 100% de préventes. Il n’y a jamais eu de souci sur la prévente. La vente a peut-être un peu été ralentie, mais tout était vendu. Chez Cenaro, il n’y a jamais eu de problèmes de vente. Les projets existants étaient rentables. C’est valable chez tous les promoteurs. Il y a le débat sur la surfacturation, c’est ce qu’on est en train d’expertiser. Elle est difficile à contrôler parce que même si on vérifie que les fournisseurs sont payés – ce que nous ne pouvons pas faire –, c’est si l’état d’avancement est tel que le promoteur avait le droit de payer. Ce n’est pas au garant de le faire. Il ne faut pas oublier que si on fait une loi avec un volet pénal, ce n’est pas à nous de vérifier.
Demain, je fais un excès de vitesse, qui vient vérifier? La police. Si dans un code civil il y a un volet pénal, il faudrait peut-être qu’il y ait une autorité qui vérifie que ce soit fait correctement. Il manque cette autorité de contrôle dans la Vefa. Ce n’est sûrement pas à la police d’aller le faire. Pour nous, les seuls qui peuvent le faire, ce sont les architectes ou les bureaux d’ingénieurs. Il faut les intégrer dans la législation. Pour 99% des acquéreurs qui achètent un bien, la seule chose qu’ils voient, c’est ‘garantie financière d’achèvement’. Ils pensent qu’ils payent des suppléments à gogo; ils avancent de l’argent aux promoteurs qu’ils ne devraient pas avancer… Mais ce n’est pas ça. La loi est claire, elle dit qu’on ne peut pas facturer et payer plus que ce qui est réellement fait. Si demain je commande des carrelages à 25.000 euros et que le promoteur me demande un acompte, je suis en droit de dire non et de payer au moment où le carrelage est posé.
Dans quel cas le garant rembourse? Qu’il soit banquier ou assureur.
«En principe, la substitution (activation de la garantie de remboursement) se fera lorsque le coût prévisible d’un achèvement dépasse de façon significative le montant total des paiements que l’acquéreur devrait effectuer au profit du vendeur promoteur et ceci dans les limites du contrat et de la loi. De manière générale, il ne serait pas envisageable pour un garant de donner une garantie sans limite. Il serait très difficile voire impossible de trouver un garant pour un tel risque, car les réglementations du secteur bancaire et des assureurs sont très strictes.
Le grand débat aujourd’hui est: est-ce que le terrain est assuré ou pas? La réponse est simple: si c’est la même société qui vend le terrain et la construction, le terrain doit être garanti. Si c’est une autre société, comment une banque ou un assureur peuvent garantir à propos de quelqu’un avec lequel ils n’ont pas de lien contractuel? Pierre peut vendre un terrain et Intersport peut construire, il n’y a peut-être pas de lien capitalistique.
Et comment ça se passe dans ce cas-là? Le client achète…
«Une quote-part terrain chez A. C’est 95% des actes au Luxembourg. Le vendeur de la quote-part terrain n’est pas celui qui construit. C’est le même acte de vente splité en deux.
Cela suffit-il à avoir deux responsabilités différentes?
«Tout à fait.
Vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous faisiez donc là.
«Chez Eurocaution, nous sommes courtiers en assurance. La définition d’un courtier, c’est que nous sommes le mandataire de notre client pour lui trouver une solution à son besoin d’assurance. Dans notre cas, nous sommes spécialisés dans la caution. Nos clients sont des promoteurs, des groupements de construction, même des agences intérim, des transporteurs, qui ont besoin d’émettre des garanties au profit de bénéficiaires divers et variés pour leurs obligations contractuelles.
Le principe d’une caution, c’est un contrat tripartite entre un garant, par exemple l’agence d’intérim qui doit donner à l’État une caution pour les charges sociales, ou une entreprise de construction qui va construire un pont au-dessus de l’autoroute pour les CFL et qui doit donner une garantie au CFL. Donc, notre métier c’est aujourd’hui de trouver le garant qui accepte de donner une garantie à une entreprise pour respecter ses obligations contractuelles, que ce soit de la vente en état futur d’achèvement, des garanties de paiement ou n’importe quoi qui doit être garanti dans l’exécution d’un contrat.
Grâce à notre écosystème, on a réussi à concurrencer le système bancaire qui était leader du marché luxembourgeois.
Par contre, Eurocaution va une étape plus loin. La force d’Eurocaution, ce n’est pas simplement d’être un courtier. Nous travaillons avec des assureurs mondialement connus, avec lesquels on agit comme un courtier de base, mais on travaille aussi avec des compagnies d’assurance, qui sont des program manager, en anglais, et fronter, en français, qui se réassurent… Un des métiers importants d’Eurocaution est d’être courtier en réassurances.
Toute la garantie d’achèvement qu’on émet depuis dix ans au Luxembourg provient de six ou sept réassureurs qui sont mondialement reconnus. Ils nous donnent la capacité de réassurance et on a un assureur local, luxembourgeois, français, peu importe, qui met sa licence d’assurance à disposition, mais tout le risque est porté par le monde de réassurance. Grâce à notre écosystème, on a réussi à concurrencer le système bancaire qui était leader sur le marché luxembourgeois. Simplement parce que la banque calcule son taux sur les garanties d’achèvement, par exemple, sur le prix de vente de la quote-part construction et l’assureur sur l’exposition réelle.
Si demain j’ai un prix de vente de dix millions, mais mes coûts de construction sont 8 millions, le taux de l’assurance est calculé sur 8 millions et pas sur 10. Il est dégressif en fonction de l’état d’avancement. Au fur et à mesure que le risque diminue, le taux est calculé sur un montant différent. C’est ce modèle-là que nous avons vraiment amené à Luxembourg et qui nous a permis de devenir le leader du marché.
Dans votre rôle, passez-vous tous les dossiers à la moulinette?
«Oui! Tous. Tout est analysé. Il n’y a pas un dossier qui serait accepté parce qu’il y a dessus le nom d’un gros promoteur immobilier. Nous avons une matrice d’analyse de risque. Nous avons des règles de souscription extrêmement strictes. Chaque dossier doit rentrer dans des critères très prédéterminés. Notamment que les coûts de construction soient couverts, soit par des préventes, soit par des apports en fonds propres, soit par un crédit bancaire.
Même le meilleur promoteur, le plus bankable, s’il ne vend rien, s’il n’a plus de nouveau marché, dans six mois il dépose le bilan!
Tout le marché, pour se financer, fonctionne globalement comme Cenaro fonctionnait!
«Tout le monde. De la même façon. La seule différence, c’est que l’achat de terrain chez Cenaro passait par des obligations, à 10%, et d’autres vont chez les banques. La seule chose, c’est que là où un gros promoteur va payer 2%, Cenaro, lui, va payer 10%. Mais le modèle est le même chez tout le monde. Sinon, j’ai une fortune personnelle, j’achète des terrains, mais tout le monde a besoin d’un financier pour aider un peu.
J’imagine que ce qui fait la différence entre Cenaro et un gros c’est que, quand cela va moins bien, le gros a déjà une histoire et une trésorerie, et c’est sa trésorerie qui lui permet de passer un moment délicat…
«Tout à fait. Aujourd’hui, même le meilleur promoteur, le plus bankable, s’il ne vend rien, s’il n’a plus de nouveau marché, dans six mois il dépose le bilan. Ce n’est pas la faute de X ou Y. Tout commerçant qui n’arrive pas à vendre est dans la même situation.
Le problème ne serait-il pas l’intermédiation, toujours pas contenue?
«Une loi était prévue pour limiter l’intermédiation, elle n’est toujours pas passée. Il faut absolument que le gouvernement sorte une régulation de l’intermédiation.
Sur qui repose la responsabilité de faire comprendre la Vefa?
«L’intermédiaire en général. Si demain, je suis courtier en assurance, un agent d’assurance, j’ai pour rôle de lui expliquer au moins les exclusions et j’ai un rôle de savoir si ce que je lui vends correspond à son besoin. L’agent immobilier, quand on va le voir pour lui acheter un bien, faites un test: demandez-lui comment fonctionne une garantie d’achèvement lors d’une Vefa, il ne sait pas. Il ne sait pas ce qui est inclus ou non dans une garantie d’achèvement. Le jour où vous arrivez chez le notaire, les gens la signent. Elle est régulée par la loi, on ne met pas ce qu’on veut dedans.
Et donc la garantie d’achèvement d’une banque ou d’un assureur, on ne peut pas écrire autre chose que ce que prévoit la loi. C’est 100% conforme à la législation. Et si la loi prévoit qu’on ne peut rembourser un acquéreur, ce n’est ni la faute de l’assureur ni la faute de la banque. Les gens doivent se tourner vers nos législateurs pour changer la loi.
Des entreprises ont arrêté de travailler sur les chantiers de M. Chevallier, faute d’être payées…
«Le problème, c’est que dans les arrêts de chantier pour défaut de paiement, il y a des règles à respecter. Donc ce n’est pas ‘je ne suis pas payé, je ne viens plus’. La loi est claire à ce sujet. Soit je demande à un juge de ne plus venir si je ne suis pas payé – il existe une procédure –, soit je peux écrire un courrier pour dire que je ne viens pas poser les châssis parce que je ne suis pas payé. Quelqu’un qui fait de l’isolation et qui arrête de travailler… Il ne peut pas. S’il y a abandon de chantier, le chantier reste à l’arrêt pendant des mois sans personne, sans aucune intervention, la société est en abandon de chantier. C’est une faute pénale.
Le Luxembourg n’est pas l’Île-de-France!
Qui peut se payer quoi aujourd’hui à Luxembourg?
«Un trois chambres, 40% de la population pourraient se l’offrir si le prix était inférieur à 750.000 euros. Sur Athome, ça n’existe pas. Le marché va évoluer. La Ville de Luxembourg va devenir un marché d’investisseurs et les familles un marché, si les taux d’intérêt restent à cette hauteur, pour des communes éloignées comme Esch-sur-Sûre ou Clervaux. Il n’y aura plus de développement immobilier à Luxembourg-ville. Les gens peuvent encore s’offrir un logement à 9.000 ou 10.000 euros le mètre carré.
Pourquoi ne le font-ils pas? C’est très simple: quand je veux avoir un crédit à ma banque, j’ai mon offre, je la signe, j’ai 30 jours pour passer l’acte. J’ai une franchise où je ne paie que les intérêts ou peut-être même un crédit-pont sur 18 mois ou 24 mois, peut-être même 28 mois dans une banque. Si je n’ai pas la garantie que mon immeuble n’est pas construit en 28 mois, comment je fais pour payer un loyer ou un ancien crédit plus le nouveau crédit? Surtout que les crédits-ponts posent problème parce qu’on ne sait plus comment valoriser mon bien actuel. Par définition, je n’achète pas. Même quand j’en ai la capacité. La nouveauté, c’est le logement abordable du Fonds du logement au Kirchberg à 8.900 euros le mètre carré.
Oui, et le fonds dit que le prix au Kirchberg est de 14.000 euros le mètre carré…
«Le Luxembourg n’est pas l’Île-de-France. L’Île-de-France, c’est quatre fois le Luxembourg. Si je suis dans le huitième arrondissement, je vais peut-être payer 15.000 euros, mais en Seine Saint-Denis, c’est comme si j’étais à Clervaux, je vais payer 5.000 euros…
Le problème est que la distance, avec l’engorgement des axes de transport, rend la situation intenable pour ceux qui travaillent à Luxembourg-ville…
«Eurocaution est victime de cela aussi. Nous avons dû ouvrir un bureau à Bruxelles pour recruter du personnel et on a déjà du mal à en trouver. Tous ceux qui sont très bons veulent quatre jours de télétravail sur cinq, le Covid les a bien abusés. Plus le salaire qui va avec, les défraiements et une voiture. Le logement en est responsable. Si, nous garants, n’acceptons pas d’émettre des garanties d’achèvement avec des taux de préventes plus bas et si les banques n’accordent pas de crédit immobilier construction, pour préfinancer la construction, on va droit dans le mur. Une banque participe à un projet à Esch, elle a imposé 70% de préventes… mais je leur ai dit que nos clients n’allaient jamais atteindre 70% de préventes, parce qu’ils n’ont qu’un mois pour atteindre 70% de préventes. Ils ne peuvent pas passer les actes parce qu’ils n’atteignent pas 70%. Etes-vous prêts, comme banque, à repasser les offres au comité pour un crédit immobilier?
Les banques luxembourgeoises comparent cela à l’Espagne. Quand il y a eu la crise, le logement qui posait problème était celui pour les touristes, dans toute l’Espagne, pas le logement pour les Espagnols. Au Luxembourg, on demande de construire du logement pour les Luxembourgeois. Si je préconstruis, j’arrive à un état d’avancement tel que je peux garantir une date de livraison. Mais un promoteur ne peut pas préconstruire tous les projets qu’il a. Sans intervention politique, les vendeurs refusent de baisser le prix de leurs terrains. La politique actuelle a fait fuir ceux qui achetaient des logements pour les mettre en location. La création d’un cadre juridique favorisant l’investissement locatif permettrait d’éviter l’hécatombe.»
Interview de Thierry Labro, Publié le 28.03.2023 • Édité le 28.03.2023 à 16:21 • Paperjam
(Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)